17 nov. 2010

Pour ou contre ce genre de tradition?

Le sacrifice du mouton chez le fermier normand

Mercredi 17 novembre 2010 | Posté par Anouar Boukra
Mardi très tôt le matin dans la région parisienne, Anouar a pris la route avec cinq hommes, direction l’Orne, en Basse-Normandie. Là, un paysan élevant vaches, moutons et porcs, les attendaient. Le rituel de l’Aïd el-Kebir pouvait commencer…
Huit heures trente. Rachid propose que tout le monde aille voir les  bêtes – « il ne  faut pas qu’on perde de temps ». Pierre, le maître des lieux me fait faire le tour du propriétaire. Derrière la maison, il y a des brouettes, une baignoire, des établis. Au bout d’une allée, il est fier de me présenter ses quinze charolaises, ses truies, ses oies… Je me retrouve dans une petite étable abritant quatre moutons. Les cinq hommes discutent entre eux pour savoir quel mouton, une fois mort, ira à chacun. Rachid et Omar me demandent de tirer une pièce à pile ou face, car ils n’arrivent pas à se décider. Face ! C’est Omar qui aura le plus gros ovin.
Foued me demande l’heure, 8h50, il faut attendre. Il m’explique : « Cette fête commémore la soumission d’Abraham à Dieu. Abraham acceptait d’égorger son fils Ismaël sur l’ordre d’Allah. Celui-ci a envoyé au dernier moment un mouton pour remplacer l’enfant comme offrande. En souvenir de cette soumission et de la grâce accordée par Allah, les familles musulmanes sacrifient un mouton ou un bélier, en l’égorgeant, couché sur le flanc gauche et la tête tournée vers La Mecque, après la prière de l’Aïd. »
Foued a le regard grave lorsqu’il voit son mouton se vider de son sang : « Cet animal, il est comme nous, c’est pour ça qu’on essaie de le faire le moins souffrir, et c’est la règle, la mort c’est pas quelques chose d’évident, mais là c’est Dieu qui rappelle à ça. » Je les laisse faire et retourne voir Pierre pour savoir ce qu’il pense de tout ça. Il m’explique qu’il n’est pas choqué par ce qu’il voit. Il abat lui-même, dans sa propriété, des porcs et des moutons pour la consommation personnelle du foyer. Il a un local dédié à ça, avec une meule, une planche à couper, une poulie pour surélever la bête. Pour les bovins, cela n’est pas possible. Et puis cela peut être lucratif pour lui. Chez Pierre, un mouton se monnaie 110 à 130 euros contre 230 à 250 euros dans un abattoir classique. L’Aïd rapporte un petit bénéfice à ce paysan normand.
La matinée touche à sa fin. Je pose une question à la volée : « Messieurs, ça ne serait pas mieux de faire la queue dans les abattoirs, comme tout le monde ? » Chacun à sa réponse : « Depuis que je suis en France, j’ ai toujours sacrifié moi-même », « Le plus important c’est pas la viande, c’est le sacrifice », « Il faut qu’on essaye de ne pas perdre nos traditions », « Tant que j’ ai la possibilité de le faire, je continuerai », « Ça me permet de ne pas aller en cours et en même temps c’est important », « Au moins là ,on sait que c’est halal ».
J’enchaîne : « Mais c’est illégal ! » « On sait qu’on prend un risque mais on n’a jamais eu de problèmes, et en même temps on essaye de faire ça dans de bonnes conditions. Pierre il fait le nécessaire pour nous et puis il a l’habitude. » Je relance : « Vous pensez qu’il y a beaucoup de gens qui pratiquent le sacrifice comme vous le faites ? » « Ouais ! Après chacun s’organise comme il peut, t’as vu comment c’est pas évident ! La plupart ils font ça dans un jardin, nous on a de la chance ! » J’enfonce le clou : « Si demain ce n’est vraiment plus possible, qu’est-ce que vous ferez ? » « Ben, on ne fera plus rien et on continuera nos prières. » Je crois porter l’estocade : « Des porcs qui côtoient des moutons halal ? » Rachid me répond : « C’est ça la France ! »