3 févr. 2019

DÉBAT NIVEAU AVANCÉ Nº 11

Glyphosate : comment s’en sortir » : stupeurs et tremblements

Un impitoyable reportage du magazine « Envoyé spécial » est consacré à l’herbicide de la firme Monsanto.
Par Stéphane Foucart Publié le 17 janvier 2019
La caméra est une sonde impitoyable. Dans un parc londonien, assis sur un banc face à un journaliste, un scientifique de grande renommée jure ses grands dieux que l’article qu’il a signé dans une revue savante, dédouanant le glyphosate des maux dont il est accusé, n’a pas été amendé par Monsanto. Le journaliste lui tend alors une liasse de documents. Le biologiste s’en saisit, se penche sur les feuillets où sont consignées toutes les interventions des cadres de la firme agrochimique sur son manuscrit : un masque de stupeur et de colère tombe sur le visage du chercheur.
Mis devant l’évidence, son regard change. Toute sa bonhomie s’en évapore ; le savant vocifère, demande qu’on coupe la caméra, menace le journaliste, se lève, s’en va. Cette scène frappante est l’une des plus fortes du reportage ­consacré aux procédures en cours aux Etats-Unis contre Monsanto, l’un des sujets de l’édition du 17 janvier du magazine « Envoyé spécial », tout entière consacrée au glyphosate – principe actif du Roundup, l’herbicide phare de la firme agrochimique.
Lauréat du prix Albert-Londres en 2017 pour un portrait-enquête sans concession de Vincent ­Bolloré, Tristan Waleckx revient notamment sur les « Monsanto Papers », cet ensemble de documents internes de la firme américaine que Le Monde a commencé à dévoiler au printemps 2017. Les manœuvres de la société, désormais propriété de l’européen Bayer, y sont confirmées, témoignages et images à l’appui – dont un entretien exclusif avec le jardinier atteint d’un cancer Dewayne « Lee » Johnson, qui a gagné (en première instance) son procès contre la firme, fin 2018. C’est précisément la production, devant le jury populaire, des « Monsanto ­Papers », qui a joué un rôle déterminant dans la condamnation du géant agrochimique.

Promesse difficile à tenir

« Envoyé spécial » explore également d’autres questions liées à l’usage du glyphosate. Au centre de deux reportages, l’un en France, l’autre au Sri Lanka (le premier pays à avoir tenté de supprimer son utilisation) : la difficulté des agriculteurs à se passer de ce produit miracle, bon marché et considéré comme l’herbicide le plus sûr disponible, au moins ­jusqu’à sa classification comme « cancérogène probable », en mars 2015, par le Centre international de recherche sur le cancer. Et, comme en écho à ce lien étroit entre l’agriculture intensive actuelle et la substance controversée, le magazine enquête également sur la valse-hésitation du pouvoir, en France, sur son interdiction promise.




Fin 2017, Emmanuel Macron promettait, dans un Tweet ambitieux, que le glyphosate serait interdit en France « dans trois ans au plus tard ». Cette affirmation présidentielle a déclenché une forte activité parlementaire, des députés de la majorité s’empressant d’appeler à l’inscription, dans la loi Egalim. Mais lorsque l’Elysée et le gouvernement eu­rent réalisé que la promesse serait difficile à tenir, il a fallu collectivement replier les gaules. Ne pas signer ses propres amendements, par exemple, ou déserter l’Hémicycle au bon moment… Véritablement hilarante, la chronique de ce rétropédalage collectif, narrée par les journalistes d’« Envoyé spécial », n’est, hélas, pas à l’honneur des députés de la majorité.

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