"On ne ppas faire autrement que On ne peut pas faire autrement que les aider" : une nuit avec les montagnards sauveurs de migrants
La nuit n’est pas encore tombée mais le froid, lui, s’abat sur la ville en même temps que le soleil disparaît derrière les pics enneigés. Les familles en tenue d’après-ski rentrent d’une journée à dévaler les pistes, fourbues et heureuses. Les parkings des grandes surfaces se remplissent. On prépare le dîner, la raclette, on achète de la bière et du vin, du fromage et du jambon. A la piscine municipale, les entraînements battent leur plein et on se délasse au spa dans les vapeurs d’eau chaude. Juste en face, la patinoire résonne du bruit des palets frappés à pleine vitesse. Dans cette enceinte mythique, l’équipe des « Diables rouges » se prépare à son prochain affrontement. Les bars sont bondés. La rivière qui longe la route, près de la zone commerciale, charrie une eau glacée. Il ne ferait pas bon y tomber. Les compétitions de kayak reprendront au printemps. Là-haut, les pentes enneigées et les forêts profondes basculent dans l’obscurité.
CHUTES, NOYADES, HYPOTHERMIES
Au « Refuge solidaire », non loin de la gare de Briançon, c’est l’heure du dîner. Les bénévoles servent les repas à la cinquantaine de réfugiés qui sont hébergés ici et passent leurs journées, désœuvrés, à écouter de la musique, à jouer au foot ou à regarder des vidéos sur leur portable. Quelques jours de repos avant d’entamer la suite de leur périple. On joue aux cartes. Un jeune homme, sourire aux lèvres, se met à rire aux déconvenues du chat dans les aventures de « Tom et Jerry ». Sur la terrasse à l’arrière du bâtiment, certains terminent de faire leur lessive. En contrebas, un petit local. Des hommes et des femmes en tenue de randonnée arrivent les uns après les autres. Ce soir, comme tous les soirs, un petit groupe va partir en montagne, du côté du col de Montgenèvre. Car tous les soirs, des groupes de réfugiés tentent de passer la frontière entre l’Italie et la France. Ils prennent les derniers bus jusqu’à Clavières, puis s’engagent dans les bois pour contourner Montgenèvre, où se trouve le poste de la PAF (Police Aux Frontières). Du côté italien, à Oulx qu’ils ont la plupart du temps rejoint en train, des associations leur ont fourni des vêtements chauds et des chaussures. Mais ils ne connaissent rien de cet environnement hostile. La neige, les bois la nuit, les pentes caillouteuses, les pistes qui se perdent et les ravins au détour d’un chemin. Le froid glacial. Des risques naturels aggravés par la peur de la police. En voulant éviter les contrôles, les réfugiés s’engagent sur des terrains escarpés et en altitude, se mettant dans des situations toujours plus dangereuses. En trois ans, plusieurs personnes sont mortes. Chutes, noyades, hypothermies. Les blessures sont nombreuses, de la fracture aux engelures, dont certaines ont mené à l’amputation.
« On ne peut pas faire autrement que les aider, c’est complètement naturel pour nous », explique Benoît Ducos, menuisier et ancien pisteur-secouriste. Membre de l’association « Tous migrants », Benoît participe aux maraudes depuis les débuts, à l’hiver 2016. Moins souvent aujourd’hui, depuis qu’il est dans le collimateur de la justice pour avoir transporté dans sa voiture une famille rencontrée à proximité du col de l’Echelle, dont la mère, enceinte de huit mois et demie. Quelques heures plus tard, elle avait donné naissance à un petit garçon à l’hôpital de Briançon. Si cette affaire, pour laquelle il était poursuivi pour « aide à l’entrée illégale sur le territoire français », a été classée sans suite par le tribunal de Gap en raison de son caractère humanitaire, il n’en a pas été de même pour celle dite des « sept de Briançon ». Lors d’une manifestation visant à protester contre la présence de militants identitaires au col de l’Echelle, plusieurs personnes avaient été interpellés puis jugées là aussi pour « aide à l’entrée irrégulière d’un étranger en France ». Benoît a écopé de six mois de prison avec sursis, quand d’autres ont été condamnés à des peines de prison ferme pour rébellion. Le menuisier-secouriste a donc du réduire sa participation aux maraudes. Un prochain contrôle pourrait l’envoyer en prison. Sans compter que ces trois ans d’intense activité ont usé les organismes. Les aides extérieures sont donc les bienvenues. Des bénévoles venus de toute la France, certains politisés, d’autres mus seulement par des motifs humanitaires, des étrangers, hollandais, anglais, allemands, des Italiens de l’autre côté de la frontière. Il y a ceux qui ne veulent pas entendre parler de journalistes, suppôts évidents du capital et de l’Etat répressif, ceux qui ne savent pas trop, et ceux qui, comme Benoît, rappellent que sans la presse, les radios et la télévision, les dons et les aides, matérielles et humaines, n’auraient pas été aussi nombreux. Sa parole et son autorité de montagnard aux traits creusés par le grand air, son expérience, les risques qu’il a su prendre, en imposent à ceux qui sont de passage.
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